L’étude des débris spatiaux et surtout de leurs effets lorsqu’ils impactent des structures en orbite est un enjeu majeur pour les agences spatiales. La protection des structures spatiales face aux impacts de débris spatiaux est réalisée généralement à l’aide de blindage double murs (whipple shield) constitués de deux feuilles espacées. Ce type de bouclier présente une performance supérieure à une plaque unique de densité équivalente pour les vitesses d’impact supérieures à 6 km/s. Lors d’un impact de débris, la neutralisation de la menace se fait en deux étapes : le premier mur appelé bumper désintègre dans un premier temps le projectile pour que les débris générés lors de ce premier impact puissent être plus facilement arrêtés par le second mur.
La vitesse des débris spatiaux étant comprise entre 8 et 14 km/s (régime hypervitesse), il n’existe pas de moyen expérimental pour reproduire ces impacts dans un laboratoire d’essais à des vitesses supérieures à 10 km/s. Le dimensionnement des boucliers de protection des structures spatiales s’effectue en utilisant à la fois des moyens expérimentaux et numériques. Dans un premier temps, des essais d’impact sont réalisés dans la gamme de vitesse accessible par les moyens de laboratoire (jusqu’à 10 km/s dans notre laboratoire). Un modèle numérique, corrélé aux données collectées lors des expérimentations, est utilisé pour extrapoler les résultats aux plus hautes vitesses. Le résultat de cette démarche est généralement la définition d’une Equation Balistique Limite (EBL) qui définit l’évolution du diamètre critique débris conduisant à la perforation de la protection, en fonction de la vitesse d’impact.
Une collaboration a été initiée en 2014 entre Thiot Ingénierie et le CNES visant à appliquer cette démarche pour analyser les effets d’impacts hypervitesses sur des structures représentatives (réservoirs sous pression, panneaux sandwiches structuraux, etc.). Plus récemment, Thiot Ingénierie a participé / débuté trois études hypervitesses liées à cette problématique des débris spatiaux.
Etude de structures MLI
La première étude s’inscrit dans l’évaluation des performances de protection d’une couche d’isolation de type MLI (Multi-Layer Insulation). La MLI (Multi-Layer Insulation) est une structure constituée de plusieurs couches fines de différents matériaux comme par exemple du kapton, mylar aluminé, polyester… On l’utilise pour couvrir les structures spatiales, c’est ce qui donne aux engins spatiaux l’apparence d’être couvertes d’une feuille d’or. Son rôle principal est de réduire les pertes thermiques par radiation infrarouge. Cette fonction principale de couverture extérieure expose la MLI aux impacts de débris, ce qui justifie son utilisation comme bumper dans une solution de blindage aux impacts hypervitesses. Le comportement à l’impact de la MLI ainsi que sa capacité à fragmenter les débris ne sont actuellement pas bien connus. Dans la littérature, deux types d’équations balistiques sont proposés pour estimer les capacités de la MLI dans cette configuration, mais l’écart entre ces deux modèles est suffisamment important, dans la gamme de vitesse considérée, pour nécessiter une étude expérimentale complémentaire.
L’objectif de cette étude est d’identifier, au moyen d’essais d’impacts hypervitesses, le modèle d’équation balistique qui reproduit au mieux le comportement d’une MLI utilisée en tant que bumper. Pour cela, nous avons considéré une cible double murs constituée d’un bumper en MLI et d’une plaque arrière en aluminium. Les débris spatiaux sont représentés par une bille en aluminium qui impacte la cible étudiée avec une vitesse comprise entre 4 et 9 km/s. Au total, 12 essais ont été réalisés dont 5 à des vitesses supérieures à 8 km/s.
Phénoménologiquement, la nature de la bille après impact du matelas de MLI évolue en fonction de la vitesse d’impact. On retrouve essentiellement de gros débris à basse vitesse (4.5 km/s). Ensuite, à vitesse intermédiaire (6 km/s), la taille des fragments diminue et leur nombre augmente. Autour de 8 km/s, une grande partie de la bille s’est fusionnée à l’impact sur le MLI.
Représentation des résultats expérimentaux en fonction du diamètre et de la vitesse de la bille
Visualisation d’un impact hypervitesse sur une MLI. Bille de 1 mm à 8 km/s
Ce comportement est similaire à celui d’un double mur aluminium-aluminium. L’évolution du diamètre critique de perforation en fonction de la vitesse d’impact peut être encadré en considérants à la fois les essais perforants et non perforants. Ces résultats ont permis d’affirmer qu’un des modèles est très conservateur (SRL) sur toute la gamme considérée.
Les autres modèles surestiment le pouvoir de protection à basse vitesse (jusqu’à 5.0 ou 5.5 km/s). Autour de 6.0 km/s, ces deux derniers modèles prédisent un diamètre critique de perforation proche des résultats expérimentaux. Néanmoins, les deux modèles sont légèrement conservatifs autour de 8 km/s. Les seuils de vitesse limitant les trois régimes caractéristiques d’un double mur n’ont pas été explicitement identifiés au vu du nombre limité d’essais mais les points recueillis concordent avec ceux utilisés par le modèle SRL.
Etude de vulnérabilité d’un nanosatellite
La seconde étude s’intègre dans un projet s’inscrivant dans le cadre de l’initiative CNES’ Tech4SpaceCare. Ce projet consiste à coupler des essais en laboratoire et des simulations numériques afin d’étudier les conséquences d’une collision catastrophique entre un débris spatial et un nanosatellite. Le nombre de nanosatellites en orbite est en effet en perpétuelle croissance et il est par conséquent crucial de connaître les débris susceptibles d’être générés par ces derniers, soit par explosion d’une source d’énergie interne, soit par explosion suite à l’impact d’un débris en orbite. Des modèles de fragmentation sont classiquement utilisés, dont le plus connu a été développé par la NASA. Une mise à jour doit cependant être réalisée pour prendre compte ces nanosatellites et les matériaux qu’ils contiennent. Cette adaptation nécessite de disposer de résultats expérimentaux en laboratoire qui font l’objet de cette étude.
Thiot Ingénierie a réalisé un essai hypervitesse avec un projectile de 0.72g lancé à 6700 m/s sur un nanosatellite de 150x100x100 mm3. Cette version contenait quatre batteries, des cartes électroniques, des volants d’inerties, un panneau solaire et une couverture thermique. Le satellite a été positionné dans une chambre d’impact spécifique, revêtue à l’intérieur d’une mousse permettant de collecter les débris générés lors de l’impact. L’énergie d’impact a été définie pour causer suffisamment d’endommagement et de débris, sans pour autant détruire le satellite dans son intégralité.
Les composants internes ont subi de nombreux dommages et beaucoup de petits fragments ont été générés par l’impact sur les batteries et sur la couverture thermique. La chambre d’impact a ensuite été transférée à la société R.TECH, en charge de l’identification des fragments, où ils vont être pesés puis mesurés à l’aide d’une caméra 3D ! Des travaux toujours en cours mais qui devraient permettre au CNES d’avancer considérablement dans la modélisation de tels phénomènes !
Validation d’un modèle d’impact hypervitesse sur réservoir avec fluide réactif
L’hydrazine est utilisée comme carburant des propulseurs de satellites. Dans certaines conditions, des réservoirs contenant ce fluide hautement réactif, peuvent être exposés à l’impact de débris spatiaux. Dans le cas le plus favorable, le réservoir peut se retrouver simplement percé. La génération de débris secondaire sera donc limitée. Au contraire, si l’énergie apportée par l’impact est suffisante pour faire réagir l’hydrazine et conduire à l’explosion du réservoir, alors les débris générés seront conséquents. Le CNES a initié en 2019 des travaux portant sur la modélisation de ce type de fluide avec la société IMPETUS AFEA. Ce modèle permet de décrire le comportement d’un tel fluide sous choc et de déterminer son seuil d’explosivité. Il a été mis au point en vue de déterminer les risques d’explosion d’un réservoir d’hydrazine de satellite en cas d’impact de débris spatiaux.
L’étude actuelle, débutée en 2020, consiste à réaliser des impacts hypervitesses sur un réservoir contenant de l’hydrazine et un gaz neutre (hélium ou azote) à proportion différente. Les essais seront instrumentés pour recueillir des données en température et pression pour le recalage du modèle. L’étude a démarré par une étude de sécurité visant à évaluer les risques à manipuler ce produit CMR (cancérogène, mutagène et reprotoxique…). Basé sur cette étude, nous sommes en train de concevoir le dispositif de gestion et de passivation de ce produit afin que nos collaborateurs puissent travailler en toute sécurité. Nous travaillons en étroite collaboration avec ArianeGroup qui nous fait bénéficier de son expérience sur ces aspects !
Les étapes suivantes sont la fabrication de l’ensemble du système puis la réalisation des essais. Enfin une comparaison avec le modèle et un recalage final seront réalisés. Tout un programme pour 2021…